Torhout-Werchter sous le soleil
ON ATTENDAIS PAUL SIMON ET STING, MAIS C'EST SURTOUT IGGY POP
QUI A CREE L'EVENEMENT A TORHOUT
Rock et bronzage
ont fait bon ménage
Pour ce premier week-end de
grande chaleur, le public s'est rué
en nombre au double festival rock
de Torhout-Werchter. A chacun des
deux concerts, plus de cinquante
mille personnes, intéressées par la
perspective de bronzer en écoutant
de la musique, ont profité des con-
ditions climatiques exceptionnelles
pour faire la fête en plein air, à
quelques-unes des plus grandes
stars du rock actuel.
Même si la chaleur accablante
incitait plus à la sieste qu'à la dé-
bauche d'énergie ou à siroter un
bon verre d'eau (pour les plus rai-
sonnables) fraîche plutôt qu'à ap-
plaudir frénétiquement la presta-
tion des idoles dégoulinantes de
sueur, l'édition 91 peut être consi-
derer comme une réussite. Pas
d'incident à déplorer, pas trop de
malaises dus à la chaleur malsaine
et des prestations scéniques sou-
vent honorables et parfois formi-
dables : on pouvait difficilement
espérer un bilan plus positif que
celui-là.

Minirobe transparante
The Scene a eu le périlleux hon-
neur d'acceuillir, à 10 h 15 du ma-
tin, un public bruyant à la recher-
che de la meilleure place possible
pour pouvoir se reposer du voyage
et de sa trop courte nuit de som-
meil. Dans une ambiance de bron-
zage assidu (les courageux du pre-
mier rang faisaient office de margi-
naux à coté des spectateurs arbo-
rant leur nouveau maillot de bain),
Dave Stewart a pris la relève, une
heure plus tard, sans guère plus de
réussite, les seuls mouvements de
la foule étant destinés à s'enduire
de crème solaire. Sans une pro-
grammation plus que contestable,
il est certain que le spectacle de
l'ex-Eurythmics, accompagné de
ses Spirituals Cowboys, aurait re-
cueilli un succès beaucoup plus en
rapport avec la qualité de sa musique.
Sur l'heure de midi, alors que le
soleil tapait généreusement, Deee-
Lite a fait monter la température
d'un cran avec ses tenues hyper-
moulantes. Il est vrai qu'elle ne
possédait guère d'autres atouts
pour emballer le public...
La choriste d'Happy Mondays,
dont la minirobe transparente
pourrait détrôner celle de Tina Tur-
ner, dans le Guiness Book des vê-
tement ayant nécessité le moins
de tissu, a joué avec bonheur du
même registre, mais, cette fois, en
accompagnement d'un vrai groupe
de rock pur et dur.

Paul Simon se plante
Avec les premiers coups de so-
leil, sont apparus les premiers ap-
plaudissements, au-delà des pre-
miers rangs. Happy Mondays,
Bonnie Raitt (au rock très seven-
ties, teinté de folk ou de blues) et
surtout les Pixies (au rock hurlant
assez dur) ont sonné la fin de la
bronzette pour une petite partie de
l'auditoire.

Ce n'est qu'avec Iggy Pop que la
musique s'est définitivement im-
posée. En entonnant quelques tu-
bes bien sentis, mais surtout en
communiquant avec le public (ce
qu'il est le seul à avoir fait de tout
le festival), il est parvenu à réaliser
l'impensable (jusque là) : donner
l'envie à tout le monde de danser.
En s'offrant même le luxe de jouer
China Girl, popularisé par David
Bowie, il a conquis le public avec
un art peu commun. La réaction ne
s'est pas fait attendre : dans un
moment de folie grandiose, cha-
cun s'est mis à jeter en l'air tout ce
qui lui passait sous la main (bou-
teilles en plastique, bananes publi-
citaires et même une poupée gon-
flable !), transformant le ciel enso-
leillé en un spectacle étonnant di-
gne d'un feu d'artifice.

Difficile d'apparaître après les
six ( !) chansons de rappel d'Iggy
Pop. Paul Simon en a fait la triste
expérience, se plantant complète-
Bronzette à gogo pour un public qui s'est déplacé en masse
raison de l'affiche et des bonnes conditions climatiques.
ment avec son nouveau disque et
n'emballant finalement le public
qu'avec une version reggae de
Bridge over the Trouble Water et
Graceland.
Pour Sting, très en retard, ce fut
pire encore : la pluie, la lassitude
et une musique jazzy fort lente, qui
aurait mieux convenu à une salle
qu'au plein air, ont eu raison de la
résistance d'une partie de ses in-
conditionels. L'ambiance était à
ce point tombée que certains du-
rent allumer des feux pour se ré-
chauffer. Heureusement, il lui res-
tait les tubes de Police, beaucoup
plus approprié à ce type de con-
cert...
Au bout de 15 heures de mara-
thon, il restait à chacun à prendre
son mal en patience, pour affron-
ter les inévitables embouteillages.
Avant de rentrer chez soi, et de
s'enduire de crème contre les
coups de soleil.

Patrick Laurent

Iggy Pop (en haut), pour son énergie débordante, et Sting, grâce à
son répertoire rythmé datant de la période Police été les
figures marquantes du festival.

UN DOUBLE FESTIVAL QUI RATISSE LARGE
Du fan inconditionnel
au profiteur de luxe
Bandana noir et blanc noué né-
gligement, t-shirt à l'effigie
d'Iggy Pop, jeans délavé et bas-
kets maculées de boue, Sophie se
fraye difficilement un chemin dans
la foule compacte de Torhout. Tel-
le une fourmi, elle se faufile entre
les corps allongés dans un amas
de détritus, où se mêlent allègre-
ment canettes de bière, cornets de
frites, sacs poubelles et flacons
d'huile solaire. Il est 18 h 20. Iggy,
l'idole de Sophie, va commencer
sa prestation dans dix minutes. Si
elle veut se trouver dans les pre-
miers rangs lorsqu'il entonnera le
refrain de Raw power, elle doit se
dépêcher.

Police très cool...
Des fans comme Sophie, les
plaines de Torhout et de Werchter
en ont accueilli une bonne centaine
de milliers ce week-end. Mais il ne
faut pas croire que ce double festi-
val attire uniquement les amou-
reux du rock. Loin de là ! Nom-
breux en effet sont ceux qui vien-
nent pour l'ambiance, la bronzette
(à 1.000 francs le droit d'entrée, ça
fait quand même cher pour le coup
de soleil) ou tout simplement pour
faire des affaires.
Car, à côté des stands officiels
de ravitaillement qui rivalisent à
coups de hamburgers trop gras, de
frites trop molles et de bières trop
plates, il y a toute la pléiade de pi-
rates
. Ainsi, ce jeune couple de Bri-
tanniques qui a squatté trois mè-
tres carré d'herbe jaunie, juste à
l'entrée du site. "Chaque été, nous
partons en Europe pour suivre tous
les festivals de rock
, explique Fran-
cis avec une pointe d'accent londo-
nien à couper au couteau. Nous
vendons des T-shirts, des posters
et des cartes postales; En Belgi-
que, votre police est très cool.
C'est pas comme en Allemagne, où
nous sommes souvent obligés de
remballer toute notre marchandise
sous peine de payer une amende;"

Francis laissera sa compagne
s'occuper seule du stand, "juste le
temps d'aller écouter les Pixies, le
seul groupe qui m'intéresse vrai-
ment aujourd'hui". D'autre com-
merçants ont eu moins de chance
que le couple anglais. "Un festival
en plein air, c'est toujours synony-
me de pluie. Mais au lieu de pro-
poser des anoraks à 150 francs,
c'est plutôt des ray-bans que j'au-
rais dû vendre aujourd'hui"
, me lâ-
che ce quadragénaire qui, lui aussi,
a l'air de se soucier plus de son
portefeuille que des rythmes afri-
cains de Paul Simon. Heureuse-
ment pour lui, en pleine prestation
de l'auteur de Bridge over troubled
water
, la pluie viendra arroser les
dix hectares de Torhout, poussant
les uns à se réfugier manu militari
sous les sacs poubelles ou à se
ruer vers le stand du vieux bon-
homme et les autres, à se laisser
rafraîchir après avoir été innondés
de soleil toutes la journée.
Quant aux habitants des deux
villages qui abritent depuis quinze
ans cette manifestation musicale,
ils se sont vite adaptés à cette fau-
ne particulière. Transformant leur
garage en mini-superette et leur
jardin en parking payant, ils se
disent, après tout, qu'il vaut mieux
faire, le temps d'un week-end,
bonne fortune que mauvais coeur.
See you next year !

Luc Lorfèvre

DANS LES COULISSES ECHOS

Le langage
cru d'Iggy

L'arroseur arrosé.
l'histoire de ce brave
qui aspergeait le public lors de
la prestation d'Iggy Pop et qui
s'est vu bombardé de bouteil-
les en plastic au point de se ré-
fugier en dessous se la scène.
Mot clé. Selon un fan incon-
ditionnel, Iggy Pop aurait pro-
noncé le temps de sa perfor-
mance le mot fuck à dix-sept
reprises. Et dire que c'est du-
rant son show dynamique que
les télévisions ont été autori-
sées à travailler en son direct.
Record d'affluence. Le bar
réservé à la presse a connu sa
plus grande affluence au mo-
ment où Bonnie Raitt est mon-
tée sur scène. Gageons que la
Californienne aura droit aux cri-
tiques les plus courtes ou... les
plus mensongères.
Violence. Très, voire pas
du tout de bagarre au festival
de Torhout/Werchter. Hooliga-
nisme et rock sont deux mon-
des à part et c'est tant mieux.
Néanmoins, signalons le com-
portement déplorable d'un
membre anonyme de la sécuri-
té qui prenait un malin plaisir à
traîner violemment dans la
boue les récalcitrants qui pho-
tographiaient sans autorisa-
tion.
Le mythe
du backstage
Torhout/Werchter, coté pile,
c'est 120.000 personnes qui s'ag-
glutinent les unes sur les autres.
Coté face, ce sont les security-
men, les bénévoles de la Croix-
Rouge, les pompiers, les techni-
ciens et les journalistes qui parta-
gent l'espace mythique du backs-
tage. Mythique, car le fan imagine
que l'on peut y trinquer avec Dave
Stewart, tailler une bavette avec
Paul Simon ou recueillir les premiè-
res impressions d'Iggy Pop mors-
que, ruisselant de transpirations, il
quitte le podium pour se réfugier
dans son car climatisé;
Hélas ! Entre le mythe et la réali-
té, il existe un gouffre que seule
une accréditation donnant droit au
fameux badge backstage ne per-
met pas de franchir. "On ne passe
pas", "Vous ne pouvez photogra-
phier les artistes que lors des deux
premiers morceaux", "Non, M.
Sting n'accorde pas d'interview
avant son show" :
telles sont les
réponses qui fusent platement de
la bouche des membres du service
d'ordre et qui procurent trop sou-
vent un sentiment de frustration
chez le journaliste.

Incidents mineurs
Il esr vrai que le service d'ordre
doit se fendre d'une tâche particu-
lièrement ingrate. Entre les capri-
ces des artistes, les exigences des
photographes et les évanouisse-
ment qui frappent sporadique-
ment les premiers rangs, ils n'ont
qu'à de très rare occasions le
temps de respirer !
Dans un registre moins musclé
mais tout aussi efficace, le service
médical a lui aussi été mis à rude
épreuve. C'est au moment où les
Pixies s'employaient à réveiller un
public qui s'était quelque peu as-
soupi durant la prestation de Bon-
nie Raitt, que les blouses blanches
ont connu leur coup de feu. Tandis
que les plus jeunes bénévoles prê-
taient main-forte aux pompiers
pour raffraîchir les fans qui se
pressaient devant la scène, les
plus robustes partaient, la civière
sur léépaule, en quête des victimes
d'évanouissement ou de ceux qui
avaient un peu trop carburé à la
pils.
Sans ces petits incidents mi-
neurs, le festival de Torhout/-
Werchter perdrait, il est vrai, un
peu de son âme.

L.L.

Le public a commencé à manifester son engouement lorsque les Pixies sont montés sur scènes. Cer-
tains estivaliers en manque de sommeil ont pourtant préférés faire le sieste sue le sol jonché de détri-
tus.


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